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Les « Primitifs » italiens (Histoire de l'art)

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1.2. Les principes novateurs

L’humanisation des personnages
La naissance du paysage
Des architectures complexes
Conclusion

1.2.1. L’humanisation des personnages

Ce qui frappe immédiatement à comparer des œuvres byzantines, hiératiques, pleines de lointaine majesté, reflétant une théologie de l’absolue transcendance de Dieu, avec les premières peintures des « Primitifs », c’est « l’humanisation » des représentations du Christ, de la Vierge et des saints qui se réalise autour de 1300...

La peinture passe à ce moment là d’une figuration essentiellement évocatrice et affirmative de la présence de Dieu, à la représentation d’une humanisation progressive des images du sacré : mais humaniser la figure de Dieu, du Christ, de la Vierge, c’est faire entrer le monde terrestre dans une peinture qui se veut jusque là expression de la transcendance, c’est engager un autre registre de représentation, c’est faire une autre peinture. Représenter le monde terrestre, c’est figurer la réalité du monde perçu : l’espace, les paysages, les architectures des maisons et des villes, les activités des campagnes. Montrer que Dieu est parmi les hommes, c’est aussi peindre les hommes et leur quotidien. Ainsi surgit le quotidien dans l’image peinte : les hommes affairés, les champs, les animaux, les objets, les maisons…

Duccio di Buoninsegna : la Maestà, face avant, détail : les apôtres Jacques le Mineur et <a class=Barth'>Barthélémy sur la partie droite. Tempera sur bois, 37 x 23 cm. Sienne, musée de l’Œuvre du Dôme'/>
Duccio di Buoninsegna : la Maestà, face avant, détail : les apôtres Jacques le Mineur et Barth'>Barthélémy sur la partie droite. Tempera sur bois, 37 x 23 cm. Sienne, musée de l’Œuvre du Dôme

1.2.1.1. Une nouvelle donne théologique

Mais cette révolution picturale est d’abord une révolution spirituelle. Jusqu’au XIIIè, l’Eglise est une structure élitiste et cléricale : les moines vivent en grande partie isolés dans des monastères, havres de culture et de calme, presque à l’abri du monde (même si cette présentation est trop réductrice) ; la hiérarchie vit éloignée du peuple et de son quotidien ; tout à ses querelles, à son prestige, à ses démêlés avec les pouvoirs temporels, le haut clergé a une vision de l’Église où l’homme doit atteindre un Dieu éloigné et transcendant.

Christ Pantocrator. Détail de la Deisis de Sainte Sophie de Constantinople. XIIIè siècle. Mosaïque : l’image d’un Dieu transcendant et éloigné
Christ Pantocrator. Détail de la Deisis de Sainte Sophie de Constantinople. XIIIè siècle. Mosaïque : l’image d’un Dieu transcendant et éloigné

Au début du XIIIè siècle, apparaît François d’Assise (1282-1326). Il prêche une pratique nouvelle, basée sur la pauvreté, l’humilité, la fraternité, la nature ; une religion optimiste, faite pour l’homme, avec un Dieu beaucoup plus proche et plus humain. C’est Dieu qui vient à l’homme. Il s’agit d’une évolution radicale et d’un profond bouleversement, relayé après François par son ordre puis celui des Dominicains. Pour les « Frères prêcheurs », l’Église doit aller vers les hommes et non le contraire. La masse des chrétiens n’est plus ce troupeau indiscernable qui doit suivre une religion définie en dehors d’elle, mais devient l’enjeu de l’évangélisation. Il s’agit d’être présent dans les villes, d’être plus près du quotidien des hommes et de diffuser la parole de Dieu, là où se trouvent les concentrations d’individus, au lieu de rester dans des lieux isolés, loin du monde comme les ordres anciens, Bénédictins, Cisterciens ou autres Chartreux. La nouvelle théologie des ordres prêcheurs a pour objet d’être « dans le monde ». Ce changement induit de nouveaux comportements de vie mais aussi de nouveaux moyens d’atteindre le peuple des villes et des campagnes par une théologie « révolutionnaire » dont l’usage d’images efficaces et pédagogiques fait partie.

 Guido di Graziano : Saint François. Après 1270. Tempera et or sur panneau, 237 x 113 cm. Sienne, Pinacothèque Nationale
Guido di Graziano : Saint François. Après 1270. Tempera et or sur panneau, 237 x 113 cm. Sienne, Pinacothèque Nationale

Non contents d’être les initiateurs et les vecteurs de cette nouvelle théologie, les Ordres prêcheurs, Franciscain et Dominicain, deviennent rapidement les principaux « commanditaires » des œuvres d’art et font réaliser partout fresques, panneaux et retables : l’influence franciscaine est énorme aux XIIIè et XIVè siècles, talonnée par celle des Dominicains et les modèles de saint Dominique (1170-1221) comme ceux de saint François (1182-1226) sont essentiels dans le développement d’une nouvelle église ouverte et citadine. Si Giotto illustre au mieux cette innovation dans l’humanisation des figures, c’est aussi parce que son travail est lié à la théologie franciscaine et aux commandes de l’ordre… Ce qui n’empêche pas d’ailleurs ces Ordres de devenir rapidement rivaux : ainsi, à Florence, au XIIIe, Franciscains et Dominicains se partagent les zones d’influence hors des remparts de la ville : l’est aux Franciscains avec Santa Croce à partir de 1228, l’ouest aux Dominicains avec Santa Maria Novella à partir de 1246.

1.2.1.2. Le rôle de l’image

L’image prend donc une importance particulière pour attiser la foi populaire. Giovanni di Genova, dominicain de la fin du XIIIè, résume bien la nouvelle fonction des images dans son « Catholicon » : « Sachez que trois raisons ont présidé à l’institution des images dans les églises : en premier lieu, pour l’instruction des gens simples, car ceux-ci sont enseignés par elles comme par les livres. En second lieu, pour que le mystère de l’Incarnation et l’exemple des saints puissent mieux agir dans notre mémoire en étant exposés quotidiennement à notre regard. En troisième lieu, pour susciter un sentiment de dévotion, qui est plus efficacement excité au moyen de choses vues que de choses entendues ».

Ainsi l’image joue le rôle de « propagande » dans cette « nouvelle théologie » beaucoup plus proches des hommes et de leur quotidien, et devient l’expression d’une piété populaire. Aussi les images géantes du Dieu Pantocrator, dominant du haut des voûtes des églises, comme celui de la cathédrale de Monreale en Sicile (1190), ces figurations de la transcendance évoluent vers les représentations d’un Christ homme au milieu des hommes, tel qu’on peut l’observer dans les œuvres de Giotto à Assise ou à Padoue. On passe du Christ géant et terrifiant du « Jugement dernier » trônant dans la cité céleste, au Christ fraternel de la cité terrestre. Dans les fresques de Giotto (1267-1337), le Christ est de la même taille que les figurants ou les bourreaux dans des scènes de crucifixion ou de flagellation, images impensables au XIIè ou dans les figurations byzantines où le monde du divin ne s’interpénètre jamais avec le monde des humains. Figurer un Christ sur le même plan, de la même taille, de la même corporalité qu’un homme banal, telle est la première révolution inventée par ces peintres toscans ou ombriens du XIIIè.

Giotto : scènes de la vie du Christ : les Noces de Cana. 1304-1306. Fresque, 200 x 185 cm. Padoue: la chapelle Scrovegni ou chapelle de l’Arena
Giotto : scènes de la vie du Christ : les Noces de Cana. 1304-1306. Fresque, 200 x 185 cm. Padoue: la chapelle Scrovegni ou chapelle de l’Arena

Ce qui vaut pour le Christ vaut naturellement pour les représentations de sa mère, la Vierge Marie. Ainsi on peut suivre l’évolution des « Maestà », thème classique de la Vierge en majesté, assise sur un trône de gloire et présentant l’enfant Jésus ; entre celle de la Sainte-Trinité de Cimabue de 1260 (Musée du Louvre à Paris), toute encore empreinte de formalisme byzantin, et celle de Simone Martini exposée au Palazzo Pubblico de Sienne, de 1315, on mesure déjà tout le chemin parcouru dans l’humanisation des personnages. Avec l’extraordinaire Madone Ognissanti de Giotto (1310), ce n’est plus une vierge de majesté, mais une femme dans toute la splendeur suggérée de son corps qui s’offre au spectateur.

Giotto : la Madone « Ognissanti » (Maestà), détail. Vers 1310. Tempera sur bois, 325 x 204 cm. Florence, les Offices
Giotto : la Madone « Ognissanti » (Maestà), détail. Vers 1310. Tempera sur bois, 325 x 204 cm. Florence, les Offices

Il en est de même des « Vierges d’Humilité » qui fleurissent vers 1350, après la terrible Grande Peste qui dévaste l’Italie : la Vierge est assise sur le sol ou dans l’herbe et joue avec son fils dans une scène totalement maternelle. Ils sont par terre, au milieu des hommes, comme des hommes. Ils ne sont plus en « suspension » dans un ciel éthéré mais au milieu des fleurs terrestres, fleurs mariales, et donnent l’image d’une « divinité parmi nous » : c’est un renversement radical d’attitude. Ainsi la « Vierge d’humilité »de Simone Martini (Gemäldegalerie de Berlin), celle d’Orcagna (Washington), ou celle, très surprenante, de Gentile da Fabriano (Musée San Matteo de Pise).

Gentile da Fabriano : Vierge à l’enfant avec saint Nicolas et sainte Catherine. Vers 1405. Tempera sur panneau de bois. Berlin, Staatliche Museen
Gentile da Fabriano : Vierge à l’enfant avec saint Nicolas et sainte Catherine. Vers 1405. Tempera sur panneau de bois. Berlin, Staatliche Museen

Autre thème très en vogue à l’époque, celui de la « Vierge de Miséricorde » qui, abrite sous la protection de son manteau bleu-nuit qu’elle ouvre et étend autour d’elle tous les états du monde : rois, prêtres, seigneurs, artisans, paysans…

Ainsi l’image renvoie à cette nouvelle théologie qui s’épanouit au XIVè et montre cette proximité nouvelle d’un Dieu ou des intercesseurs majeurs situés parmi les hommes. Cette humanisation est un des apports de ces novateurs du début du XIVè siècle dont Giotto est le principal et probablement le plus inventif des représentants.

1.2.1.3. Le rôle d’Assise

Tout comme au XVè, Florence sera le phare de la Renaissance, Assise, la ville de Saint François, est le lieu symbole de cette nouvelle révolution picturale menée par les « Primitifs » italiens.

En 1228, deux ans après la mort de François, Grégoire IX est à Assise et procède à la canonisation du « Poverello » en l'église Saint Georges, où repose son corps. Il demande au frère Elie de Cortone, ministre général de l'Ordre franciscain, de construire une basilique où reposera le corps du saint. Entre 1228 et 1230 est creusée dans la roche du mont Subiaco (Collis Inferni) l'église inférieure, et le 25 mai 1230 le corps de Saint François est transféré secrètement dans sa crypte. Immédiatement est élevée sur l’église inférieure une autre église, la supérieure, « Colle del Paradiso », en style gothique, achevée en 1253. Innocent IV consacre la basilique appelée désormais « Tête et Mère de l'Ordre des Frères Mineurs ». En 1288, Nicolas IV, premier pape franciscain de l’histoire, demande à Giotto d’illustrer sur les murs de la basilique supérieure la vie de saint François. Giotto représente, en particulier, l’épisode où saint François entre en conversation avec le Christ crucifié de l’église Saint Damien d’Assise : Le Christ parle miraculeusement à François et lui dit : « François, va réparer ma maison car, comme tu le vois, elle tombe en ruine ». François comprend que ces paroles sont le symbole d’une Église à reconstruire. Les Franciscains vont s’y employer.

Vue générale d’Assise depuis le mont Subiaco
Vue générale d’Assise depuis le mont Subiaco

À partir de ce type de sujet, Giotto, soixante ans environ après la mort du saint ombrien, réalise une série de fresques qui illustrent cette nouvelle théologie franciscaine et cet idéal de pauvreté et de proximité des hommes. La peinture offerte aux regards des humbles se peuple de personnages et de saints qui se meuvent dans des décors de villes, dans des édifices, dans des vues d’églises réelles, dans des campagnes qui évoquent les oiseaux et les herbes, une faune et une flore s’inspirant de la réalité.

Le grand chantier de la basilique San Francesco d’Assise constitue le lieu par excellence de cette exposition des nouvelles représentations et de la rhétorique franciscaine. Le rayonnement des modèles proposés est immense sur les artistes italiens du XIVè. On retrouve sur ce chantier non seulement Giotto, mais aussi Cimabue, Jacopo Torriti (fin XIIIè), Simone Martini (1284-1344), Pietro Lorenzetti, puis les disciples de Giotto.

1.2.1.4. Les autres grands chantiers

D’autres grands chantiers ou réalisations ponctuent cette révolution picturale, prenant plus ou moins de distance avec les modèles grecs, et privilégiant tel ou tels aspect de l’expression artistique : Sienne reste plus byzantine mais travaille la ligne et s’ouvre au gothique, Venise continue à cultiver la « manière grecque », Naples succombera à l’influence française…

  • Vers 1303-1305, Giotto réalise un de ses chefs-d’œuvre, la décoration à fresques de la chapelle de la famille Scrovegni de Padoue qui montre en de multiples images cette conception « terrestre » de la représentation du cycle de la vie de Marie et de la vie du Christ…
  • Dans sa fameuse « Maestà » de Sienne terminée en 1311, Duccio di Buoninsegna présente cette même humanisation de la présence du Christ.
  • De son côté, un autre Siennois, Simone Martini réalise les fresques de la chapelle Saint-Martin d’Assise vers 1312, ou il montre sa sensibilité aux innovations contemporaines, même si ses polyptyques ultérieurs poursuivent une tradition de représentation des personnages sur des fonds or…

1.2.1.5. Conclusion

Ainsi, l’humanisation du répertoire des images et des histoires chrétiennes apparaît comme un élément déterminant et caractéristique de l’évolution de la peinture de la fin du XIIIè et du début du siècle suivant. Plus qu’une invention de peintre, c’est une rénovation théologique.

Cette humanisation apparaît même jusque dans la figure de Dieu le Père, dans l’« irreprésentable ». Si le Christ fait homme peut être figuré dans sa corporalité humaine, qu’en est-il de la figure du Père ? La fresque byzantine ou la mosaïque dominant l’abside ou la coupole, représentent un « Pantocrator », transcendant, unifiant en son image trois personnes à la fois. Or, on voit, sur les peintures du XIVè en Italie, apparaître une figure de Dieu, dominant certes, mais minuscule : ainsi dans de nombreuses scènes de l’annonciation. Voilà bien une autre conception de « ce qui est représentable » et du « comment le représenter », une nouvelle conception des images qui entraînera un grand bouleversement du travail pictural.

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