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Bismarck, le forgeron de l’unité allemande. Gravure de G. Schmitt, 1890 |
Le régime politique instauré par Otto von Bismarck (1815-1898) est en fait un compromis :
- Entre le sentiment nationaliste du peuple et le conservatisme des dirigeants ;
- Entre la monarchie absolue et le libéralisme du Reichstag où dominent rois groupes : les « Junkers » conservateurs, les nationaux libéraux et les catholiques du Zentrum…
- Entre la tendance unitaire à domination prussienne de Bismarck et les tendances libérales des autres états : la Prusse impose sa loi, mais chacun des 25 états est indépendants en ce qui concerne sa politique interne.
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Trois « grands » du nouveau Reich : Otto von Bismarck, Albrecht von Roon et Helmuth Moltke (de gauche à droite) |
De fait, malgré le suffrage universel et la création du Reichstag, le régime est autoritaire. Le chancelier n’est responsable que devant l’Empereur et l’influence des Junkers est prépondérante, malgré la bourgeoisie libérale, industrielle et urbaine et malgré les socialistes, très peu influents, car le pays est socialement très avancé. Aussi, la vie politique allemande est totalement dominée entre 1870 et 1914 par deux personnalités de premier plan : Bismarck et Guillaume II.
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Otto von Bismarck photographié en 1897 : forger une Allemagne « durch Blut und Schwert », « par le sang et le fer » |
La grande affaire du chancelier est le renforcement de la jeune unité allemande et la place du Reich dans le concert des nations. Pour cela :
- Il établit un protectionnisme rigoureux, créé la Reichsbank et impose le Mark comme monnaie unique à tout l’empire.
- Il s’attaque aux catholiques, trop indépendants et trop « romains » : c’est le « Kulturkampf » (1871-1887) qui verra notamment l’expulsion des Jésuites (1872). Finalement le chancelier va échouer, car il a besoin du Zentrum catholique au Reichstag pour gouverner. Or en 1874, le Zentrum gagne les élections…
- Il s’attaque aux socialistes, trop révolutionnaires à son goût : d’abord par la force, puis en faisant d’habiles réformes sociales (Assurances maladie et retraites, assurance accident), leur coupant ainsi l’herbe sous les pieds.
- Dans les territoires occupés, Pologne et Alsace-Lorraine, il pratique une politique de germanisation forcée.
| Caricature représentant Bismarck et le diable contre l’église catholique lors du « Kulturkampf ». Bavière 1973 |
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| Le Kulturkampf : Bismarck jouant aux échecs contre le pape |
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| L’Alsace foudroyée par l’aigle prussien. Affiche du caricaturiste Henri Zislin à propos de l’octroi à l’Alsace du statut de « Land » en 1905 |
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En 1888, Guillaume II (28 ans) monte sur le trône. L’opposition entre Bismarck qui soutient une Allemagne continentale, rurale et dominée par les Junkers et Guillaume II qui penche pour une puissance maritime, expansionniste, coloniale et industrielle, ne cesse de grandir. Bismarck est remercié en 1890 après la percée aux élections du Zentrum et des sociaux-démocrates.
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Bismarck « débarqué ». Caricature de la revue anglaise « Punch » du renvoi de Bismarck par Guillaume II |
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L’empereur Guillaume II et sont épouse |
L’obsession de Guillaume II, c’est la puissance de l’Allemagne dont il veut faire la première puissance mondiale. Il s’y consacre entièrement :
Guillaume II sur le pont « Hohenzollernbrücke » à Cologne, sculptée par Louis Tuaillon'> |
Statue de Guillaume II sur le pont « Hohenzollernbrücke » à Cologne, sculptée par Louis Tuaillon |
Le développement de l’Allemagne devient prodigieux. Il est basé sur :
- La production de charbon : elle est de 190 millions de tonnes en 1913 (contre 42 millions en France).
- une main d’œuvre active, nombreuse et disciplinée ;
- un essor considérable des ports (Hambourg, Kiel, Emden…) ;
- d’excellentes communications (Chemins de fer, routes, voies navigables…) ;
- un système bancaire totalement refondu et réformé (Caisses d’épargne…)
- le regroupement des entreprises en grandes concentrations : Krupp et Thyssen pour l’acier, AEG (Allgemeine Elektricitäts-Gesellschaft, 1887) pour l’électricité, Badische Anilin (Chimie)…
| La puissance économique allemande : une forge industrielle dans la Ruhr en 1900 |
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| Alfred Krupp, le grand magnat de l’industrie allemande (1812-1887) |
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| August Thyssen (1847-1926) |
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| Une usine AEG Ã Berlin en 1900 |
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| Laboratoires des usines BASF de Ludwigshafen vers 1900. Atelier de synthèse de l’indigotine |
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| Une famille ouvrière allemande au début du XXè siècle |
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En 1914, l’Allemagne, forte de 65 millions d’habitants, est devenue la seconde puissance du monde.
Guillaume II (Wilhelm II) gouverne seul, sous l’influence des Junkers militaristes et des hommes d’affaires. Les partis politiques sont réduits à l’impuissance, mais les sociaux-démocrates sont de plus en plus nombreux et partisans de réformes démocratiques.
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L’empereur Guillaume II avec ses six fils Kaiser Wilhelm à Berlin le premier janvier 1913 : de gauche à droite : l’empereur (1859-1941), le Kronprinz Guillaume (1882-1951), le Prince Eitel Friedrich (1883-1941), le prince Adalbert (1884-1948), le prince August Wilhelm (1887-1949), le prince Oskar (1888-1948), le prince Joachim (1890-1920) |
La grande affaire du Kaiser, c’est la politique impérialiste, la « Weltpolitik » fortement teintée de pangermanisme. Elle tient en une phrase : l’Allemagne est faite pour dominer le monde.
D’une part l’Allemagne veut se tailler un empire colonial. Cet empire est tardif, car France et Angleterre se sont partagés depuis bientôt 50 ans la grande part du gâteau. Le Reich s’implante tout de même en Afrique (Togo, Cameroun, Sud Ouest Africain, Est Africain), en Océanie (Marshall, Mariannes, Carolines, Nord de la Nouvelle Guinée) et en Chine (Tsing Tao). Mais l’empire veut encore s’agrandir : à cette fin il lorgne vers la Turquie et signe de nombreux accords commerciaux avec l’empire ottoman moribond (Voie ferrée Berlin-Bagdad).
| La présence coloniale allemande. Couverture d’un livre d’images, Dresde, 1901 |
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| L’empereur Guillaume II, Enver Pacha et le sultan de Turquie Mohamed V Rechad en 1914 |
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| La présence coloniale allemande. Affiche à l’honneur du plus grand explorateur allemand, Gustav Nachtigal |
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| Billet de banque de la colonie allemande du sud ouest africain |
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Guillaume II poursuit inlassablement son rêve de « Weltpolitik ». Pour le Kaiser, la race allemande est faite pour dominer le monde. Dès 1891, il fonde la « ligue Pangermaniste », véritable « lobby » de bientôt 20 000 membres militants, puis accélère en 1898 la course aux armements ainsi que la création et la construction d’une puissante « Kriegsmarine » : avec l’Amiral Tirpitz, il planifie la construction de 36 cuirassés et 38 croiseurs sur 16 ans. Aussi l’Angleterre s’inquiète et se rapproche de la France, elle-même avide de « revanche »…
| La course aux armements : les usines Krupp à Essen |
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| Le Grand Amiral Alfred von Tirpitz (1849-1930 |
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| Kiel : base de sous marins allemands avant 1914. Une arme redoutable |
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Au service de cette politique de domination, Guillaume II n’hésite pas à employer des méthodes d’intimidation, particulièrement vis-à -vis de la France : en avril 1905 à Tanger il provoque la France en réclamant l’indépendance du Maroc ; surtout, en juillet 1911 il envoie à Agadir un croiseur pour protéger les intérêts allemands après une intervention militaire française au Maroc. Cette crise ravive les tensions entre la France et le Reich. Elle aboutit au traité du 4 novembre 1911 qui laisse à la France les mains libres au Maroc, en échange d'une partie du Congo à l'Allemagne. Enfin, dans la poudrière des Balkans, Guillaume II soutient à fond les intérêts de l’Autriche Hongrie, jetant même de l’huile sur le feu, convaincu que seule une guerre européenne, naturellement gagnée par l’Allemagne, offrirait au Reich la place qui devait être la sienne : la première.
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Caricature de Guillaume II lors de l’affaire du Maroc en 1905 |
La guerre aura bel et bien lieu. Elle sera mondiale, terrifiante, désastreuse pour l’Europe et pour l’Allemagne à court et à long terme, et enverra le Kaiser en exil.