Nazisme : les opérations « T4 » et « 14F3 » (2ième guerre mondiale 1939-1945)
2.3. Eugénisme et euthanasie des nouveau-nés infirmes
La faille apparaît avec la question des nouveau-nés et jeunes enfants difformes ou handicapés. Outre la recommandation de l’avortement sur indication eugéniste, quelques eugénistes envisagent l’euthanasie pour ces cas précis : ainsi Ploetz lui-même envisage dès 1895 la décision d’euthanasie par un collège de médecins en cas de naissance d’un enfant « fable ou contrefait »…En 1904 le professeur W. Weygandt (1870-1939) réclame que l'État intervienne dans le droit au mariage et envisage l'exposition « à la spartiate » des enfants trop faibles comme « mesure d'hygiène sociale » ; de son côté Rüdin approuve dès 1905 les thèses de son maître, A. Forel (1848-1931) prônant l’élimination « grâce à une narcose charitable », avec l'accord des parents et après un examen médical approfondi, des « nouveau-nés crétins, idiots, hydrocéphales, microcéphales et autres du même genre ».
En 1931, dans son manuel d'hygiène raciale, le professeur Fritz Lenz (1887-1976), le pape de l'eugénisme et titulaire de la seule chaire « d'hygiène raciale » en Allemagne avant 1933 (Munich), prend position sur la question de l'euthanasie. Il y estime que l'euthanasie « n'entre pas en considération comme moyen essentiel de l'hygiène raciale ». À ses yeux, l'euthanasie est essentiellement une « question d'humanité », car du point de vue de l'hygiène raciale, les patients concernés par l'euthanasie ne risquent guère de se reproduire et lorsque c'est le cas, une simple stérilisation suffit à les en empêcher. Toutefois, Lenz semble assez favorable à l'euthanasie des nouveau-nés handicapés du point de vue de l'hygiène raciale. Les parents, en effet, n'étant plus entièrement absorbés par l'éducation d'un seul enfant handicapé, oseraient alors faire autant d'autres enfants sains qu'ils le désireraient, au lieu de s'arrêter par peur de mettre au monde un deuxième handicapé. Ainsi, tout en rejetant l'euthanasie, car le « respect de la vie individuelle forme un pilier essentiel de notre ordre social », Lenz laisse théoriquement la porte ouverte à l'euthanasie des enfants en cas de changement du contexte politique.
Fritz Len |
La brèche était ouverte, et rapidement les plus éminent psychiatres allemands vont s’y engouffrer : en 1920 les professeurs Robert Gaupp (1870-1953) à Tübingen et Alfred Hoche à Fribourg dénoncent la « fausse humanité qui protège les vies sans valeur ». Le livre de Hoche « La liberté de destruction des vies indignes d'être vécues » écrit en collaboration avec le juge Karl Binding et publié à Leipzig en 1920, rencontre un tel succès qu’il est réédité en 1922. En 1925, Gaupp estime « énorme » la charge imposée à l'Allemagne « par les inférieurs mentaux et moraux de toutes classes » et envisage à nouveau l’euthanasie ; Haenel, le rapporteur de l'Association de Psychiatrie Légale, juge dans l'« Allgemeine Zeitschrift für Psychiatrie » que la suppression des « existences sans valeur » ne peut être qu'un « gain » pour la société… Désormais, ces « existences sans valeurs » sont certes celles des handicapés, mais aussi des criminels… En 1928, le professeur de psychiatrie Wilhelm Weygandt (1870-1939) de Hambourg justifie la peine de mort pour les criminels, car elle permet une élimination « radicale » des « éléments les plus nuisibles » du point de vue eugéniste… En 1931, le professeur de psychiatrie et de neurologie Berthold Kihn, titulaire de la chaire à Iéna regrette qu'une « sensibilité un peu trop cultivée « empêche » que l’annihilation des vies indignes d'être vécues puisse faire partie des moyens médicaux d'influencer qualitativement notre peuple »…
Karl Binding et Alfred Hoche |